DANS LES YEUX DES FEMMES WAORANIS EN ÉQUATEUR

Femmes Waorani Equateur
© Mathilde Doiezie

REPORTAGE

Avec leur projet photographique « Onkiyenani Aranipa » (« Les femmes qui regardent »), trois Équatoriennes documentent le quotidien de femmes de la communauté Waorani, vivant dans la forêt amazonienne. Pour ce travail, elles ont été récompensées l’an dernier par l’un des plus prestigieux prix photographique d’Amérique latine, le POY Latam.

À elles trois, elles représentent la diversité de la société équatorienne. Carolina Zambrano vient de la côte pacifique et est considérée comme métisse dans la culture équatorienne (ancêtre des Espagnol·es et des Amérindien·nes) ; Manuela Ima est née dans la communauté indigène waorani et Romelia Papue est issue des cultures autochtones kichwa et suar par ses parents. Toutes les trois se sont rencontrées dans l’Amazonie équatorienne il y a un peu plus de 10 ans. Carolina et Romelia s’y rendaient par le biais d’une ONG catholique, tandis que Manuela y était l’une des figures fortes, alors présidente de l’Association des femmes waoranis de l’Amazonie équatorienne (Amwae), créée en 2005.

Aucune d’entre elles, au tout début, ne possédaient d’appareil photo. Garder une trace de ce qui se déroulait devant leur rétine les a pourtant titillé chacune à leur tour. Car avoir accès au territoire waorani est un privilège. Les Waoranis représentent l’une des treize nationalités indigènes en Équateur. Une communauté d’environ 3 000 personnes, ayant sa propre langue et vivant sur une partie du parc national Yasuni, l’une des plus grandes réserves de biodiversité au monde, dont le sous-sol est aussi très riche en pétrole.

Une richesse qui représente aussi un piège pour les Waoranis, dont la survie de leur culture dépend de l’intensité de leur lien à la nature. Beaucoup ont lutté contre l’exploitation de leur territoire par des entreprises pétrolières ; ou appris à composer avec celles-ci lorsque leur implantation a été accordée par le gouvernement, faute de soutien international. Si les voix des femmes waoranis se sont élevées dans ce contexte, elles ont été peu entendues.

Le regard et la voix des femmes Waorani

C’est leur regard et leur voix que le projet photographique de Carolina, Manuela et Romelia, baptisé « Onkiyenani Aranipa » (« Mujeres mirando » en espagnol, qui peut se traduire par « Les femmes qui regardent »), entend transmettre et valoriser. « Les livres photographiques qui existaient jusqu’alors sur la communauté waorani, c’étaient ceux d’hommes blancs étrangers », rapporte Carolina. « Et les waoranis étaient seulement représentés comme des personnes dénudées vivant au contact de la nature, rien d’autre.

Personne ne parlait des luttes menées par les femmes dans leur territoire », renchérit Manuela, 59 ans, alternant entre l’espagnol et le waorani, sa langue maternelle, depuis la ville de Shell où elle s’est établie il y a plus de vingt ans pour mener ses actions en faveur de la valorisation des Waoranis. Elle a alors eu l’idée, en 2018, de convoquer ses deux amies pour participer ensemble à un projet photographique dédié aux femmes de sa communauté.

Entre temps, Carolina s’était formée à la photographie. Manuela et Romelia avaient documenté de manière instinctive leurs différentes activités et ont acquis quelques réflexes avec elle. Ces images ont donné lieu à une première exposition à Puyo, l’une des capitales provinciales à la lisière du territoire waorani. Une localisation importante pour Manuela : « Je ne voulais pas que l’exposition ait lieu à Quito [la capitale de l’Équateur] ou à Guayaquil [la plus grande ville du pays], remonte-t-elle dans ses souvenirs. Je souhaitais qu’elle soit accessible aux gens d’ici, pour qu’ils puissent s’éduquer sur la culture waorani. »

Lauréates de l’un des plus prestigieux prix photographique d’Amérique latine

Depuis, le projet Onkiyenani Aranipa s’est échappé du territoire amazonien. L’an dernier, le projet des trois femmes a été récompensé par l’un des plus prestigieux prix photographique d’Amérique latine, le POY Latam, dans la catégorie « Notre regard ». Le projet s’est aussi étoffé de fibres cousues sur les photos. Celles-ci proviennent de la chambira, une plante qui pousse dans la forêt amazonienne, récoltées par les femmes waoranis pour réaliser des objets artisanaux. « Le tissage présente une alternative économique aux seules options de travail offertes par les compagnies pétrolières », décrit Romelia, qui travaille aussi aujourd’hui avec Manuela au développement de la marque d’artisanat waorani Ömere. Représenter la chambira, c’est rendre visible le travail des femmes waoranis et leur identité.

Grâce à un « jeu entre trois regards interculturels », résume Romelia, trois femmes équatoriennes regardent ainsi avec sororité le quotidien d’autres femmes de leur pays, dont la vie est trop souvent dévalorisée. La photographie n’est qu’un moyen parmi d’autres médias artistiques de « raconter les histoires, les résistances et les sentiments de la jungle », ajoute Carolina. Car les images sont parfois plus fortes que les mots.

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