Inconnus, mal interprétés ou ignorés, les symptômes cardiovasculaires féminins sont encore trop souvent relégués au second plan. Pour alerter, prévenir et prendre soin autrement, le centre Sorella Care et l’association Agir pour le cœur des femmes ont organisé, à l’occasion d’une journée de dépistage et d’accompagnement, une initiative commune qui pourrait bien tout changer. Prévention, écoute, coordination des soins : une révolution discrète mais décisive est en marche pour repenser la santé des femmes, à chaque âge de leur vie.
À première vue, la journée semble banale : des femmes patientent, discutent dans la salle d’attente d’un centre médical lumineux, apaisant, presque chaleureux. Mais ce 2 avril, chez Sorella Care, à Asnières-sur-Seine, il se passe quelque chose d’un peu différent. Cette journée de dépistage est organisée avec l’association Agir pour le cœur des femmes, et réunit pour la première fois autour d’un même objectif des médecins, des militantes de la santé et surtout, des patientes venues chercher plus qu’un bilan : une écoute, une prise en compte globale, et un parcours de soins qui leur ressemble enfin.
Car derrière les murs épurés du centre de santé Sorella Care, pensé par et pour les femmes, c’est une autre approche du soin qui se déploie. Une réponse concrète à un vide trop longtemps ignoré : celui d’une médecine encore largement inadaptée aux parcours de vie féminins. « Soixante pour cent des femmes abandonnent leur parcours de soins à un moment de leur vie. C’est immense, et c’est inacceptable », alerte Clémence Lejeune, cofondatrice de Sorella au côté de Youssef Benhaddou et de Jeanne Theuret.
Coordonner les soins, prévenir les risques : un modèle inédit
Ce que propose Sorella Care, c’est un écosystème : médecins généralistes, gynécologues, ostéopathes, kinés, psychologues et infirmières travaillent ensemble, dans un même espace, en coordination. Pas de silos, pas de femmes renvoyées de l’une à l’autre sans suivi. « On ne peut pas juste rassembler des professionnels, il faut les faire coopérer. C’est cette coordination qui change tout », insiste-t-elle. Dès l’arrivée, une infirmière de coordination accueille chaque patiente et suit avec elle l’ensemble du parcours, en fonction de ses besoins.
En partenariat avec le centre de soin, l’association Agir pour le cœur des femmes a saisi cette occasion pour mener une journée de dépistage cardiovasculaire. Fondée en 2020 par la professeure Claire Mounier-Vehier, cardiologue au CHU de Lille, et Thierry Drilhon, dirigeant et administrateur d’entreprise, l’association s’est fixé une mission claire : sauver 20 000 vies en cinq ans. Un chiffre fort, qui repose sur un constat accablant. « Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes, et pourtant elles restent largement invisibles dans les politiques de santé publique », martèle Claire Mounier-Vehier. Pire : une femme est moins bien diagnostiquée, moins bien soignée et a un moins bon pronostic qu’un homme face à un infarctus. « Les femmes sont sous-diagnostiquées, sous-traitées, et elles meurent davantage. »
Son combat ne date pas d’hier. « La médecine a été conçue par et pour les hommes. Ce qu’on appelle ‘standard’ est en réalité masculin. Or, les hormones féminines modifient la présentation des symptômes, les réponses aux traitements, les risques eux-mêmes. » À l’écouter, c’est tout un système qu’il faut repenser : la recherche, la formation médicale, les campagnes de prévention. « Nous devons sortir d’une médecine du standard masculin pour construire une médecine féminine, personnalisée. »
Faire connaître les risques pour mieux les prévenir
Ce jour-là, au centre Sorella Care, l’objectif est clair : proposer à chaque femme un parcours complet d’information et de prévention, pour mieux connaître ses risques cardiovasculaires et, si besoin, enclencher un dépistage personnalisé.. Car chez les femmes, l’infarctus ne frappe pas de la même manière. « Ce n’est pas une douleur brutale comme dans les livres de médecine. C’est souvent une fatigue extrême, des troubles digestifs, une gêne à l’effort. Des symptômes facilement minimisés, par les femmes elles-mêmes comme par les soignants », détaille la professeure. Pour Thierry Drilhon, cette invisibilité des signaux féminins n’est pas qu’un problème médical. « C’est un problème culturel, systémique. Il faut tordre le cou à l’idée que l’infarctus est réservé à l’homme bedonnant de 65 ans. »
L’ambition d’Agir pour le cœur des femmes est claire : faire entrer la prévention dans tous les lieux de soins, « que ce soit les hôpitaux ou les EHPAD », précise le cofondateur. Et cette dynamique porte déjà ses fruits. À ce jour, 57 villes ont été mobilisées et 16 500 femmes dépistées. Des chiffres qui montrent combien cette stratégie s’enracine dans les territoires. Chaque dépistage permet de récolter une mine d’informations — «170 données », rappelle-t-il. Autant de repères précieux pour la recherche et la compréhension fine des risques spécifiques aux femmes.
L’action de l’association repose sur trois piliers : alerter, anticiper, agir. Alerter, c’est sensibiliser les femmes, le grand public, mais aussi les professionnels de santé. Anticiper, c’est intégrer la prévention très en amont, dès l’adolescence, et tout au long des étapes hormonales clés : contraception, grossesse, ménopause. Agir, enfin, c’est aller sur le terrain, dans les quartiers, dans les centres comme celui-ci, pour faire de la prévention une réalité. « La prévention n’est pas un coût, c’est un investissement », martèle Thierry Drilhon.
200 femmes décèdent chaque jour d’une maladie cardio vasculaire en France, 33 d’un cancer du sein, 2 d’un accident de la route
Soigner les femmes dans leur globalité
À quelques mètres de là, Alix Roquette, gynécologue et directrice médicale de Sorella Care, enchaîne les consultations. « Ici, on prend en compte l’ensemble de la vie des femmes. On ne segmente pas en petits bouts. La santé hormonale, la santé cardiovasculaire, la santé mentale : tout est lié. » Cette approche intégrée permet notamment de repenser des sujets aussi banals que la contraception. « Beaucoup de jeunes femmes refusent la pilule, sans savoir quelles alternatives leur conviendraient. Or, une contraception mal choisie peut augmenter leur risque cardiovasculaire. » avertit-elle.
Claire Mounier-Vehier acquiesce : « Chez une femme migraineuse, fumeuse ou en surpoids, une pilule œstroprogestative peut multiplier par trois le risque d’accident vasculaire. » Une donnée que peu de femmes connaissent. Pour elle, cette ignorance est aussi le produit d’un manque d’éducation en santé. « La médecine ne doit pas se contenter de soigner. Elle doit aussi transmettre. »
Autre moment de la vie particulièrement critique pour les femmes : la périménopause. Un mot encore flou pour beaucoup, une phase rarement prise au sérieux. Et pourtant, c’est à ce moment-là que tout bascule. « La ménopause est une rupture hormonale violente. Les protections naturelles contre les maladies cardiovasculaires disparaissent. C’est là que les risques explosent », rappelle la cardiologue. Bouffées de chaleur, insomnie, anxiété, prise de poids… des symptômes souvent mis sur le compte du stress, ou de “l’âge qui avance”, alors qu’ils peuvent signaler un dérèglement profond.
Chez Sorella Care, la périménopause est abordée de manière systématique. Bilan cardiovasculaire, accompagnement psychologique, nutrition, activité physique, ostéopathie : tout est intégré. « On ne propose pas un traitement unique, on propose un parcours, adapté à chaque femme, à chaque moment de sa vie », résume Alix Roquette.
Multiplier les centres, changer la culture du soin
C’est cette vision partagée qui rapproche l’équipe de Sorella Care et Agir pour le cœur des femmes. Tous souhaitent sortir d’une logique fragmentée et réactive, pour entrer dans une culture de la prévention, du dialogue, et de la prise en compte des femmes dans leur globalité. « Ce qui compte, ce n’est pas le one-shot. C’est le parcours », insiste Thierry Drilhon. Et ce parcours, il commence tôt. « On doit agir dès le collège, faire de l’éducation en santé une vraie priorité. Car les premiers facteurs de risque, comme la sédentarité ou une mauvaise alimentation, s’installent très tôt. »
Le modèle fonctionne. En 2023, l’association a mené plus de 130 opérations de prévention dans 55 villes. Et le développement continue. Côté Sorella, les ambitions sont claires. « Une douzaine de centres ouvriront d’ici 2026. Et après Paris, nous irons en région, puis en Europe », annonce Clémence Lejeune.Entre les patientes qui repartent avec un plan d’action concret, les professionnelles soulagées de pouvoir enfin travailler autrement, et les chiffres qui parlent d’eux-mêmes, l’élan semble lancé. Mais la révolution ne sera complète que si cette vision gagne les politiques de santé publique.
« Si on ne fait rien maintenant, la mortalité cardiovasculaire des femmes va encore progresser dans les dix prochaines années », insiste la professeure Mounier-Vehier. Et cette fois, plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.
Ce que j’ai vécu
Je suis arrivée chez Sorella curieuse — on m’avait parlé d’un parcours de dépistage « pensé pour les femmes ». Je ne savais pas exactement ce que cela voulait dire, mais j’ai vite compris.
D’abord, l’accueil. Une infirmière m’a présenté les grandes lignes du parcours, m’a remis un livret de dépistage et quelques documents de sensibilisation. Le ton était donné : bienveillance, clarté, aucun jargon médical.
Ensuite, évaluation du risque cardiovasculaire. On m’a pris la tension artérielle, posé des questions simples sur mes antécédents, mes symptômes éventuels. Tout était fluide, je n’avais pas l’impression d’être dans un tunnel d’examens techniques.
Puis vient le risque métabolique. J’ai été pesée, mesurée, tour de taille compris. On m’a fait un petit bilan avec prise de sang : glycémie, protéines, lipides… Là encore, rien d’agressif ou d’invasif. Juste un état des lieux objectif, sans jugement.
Un électrocardiogramme ? Pas systématique, mais proposé si nécessaire. Dans mon cas, on m’a orientée vers un Doppler. J’ai donc passé l’examen sur place, sans attente ni stress, avec une explication claire des résultats en direct. C’était la première fois qu’un examen technique ne me paraissait pas opaque.
Ensuite, un passage en gynécologie. Là, l’entretien portait sur mon histoire hormonale, contraceptive, gynéco-obstétricale. Un moment clé, parce que tout est lié, et qu’on ne nous pose jamais ces questions en lien avec le cœur.
Enfin, un médecin a synthétisé tout ça. Il a repris avec moi le livret de dépistage, m’a orientée sur la suite à donner. J’ai eu des recommandations précises, mais aussi — et c’est rare — la sensation d’être comprise dans ma globalité.
En une heure, j’ai eu une vraie photographie de ma santé cardiovasculaire. Pas seulement des chiffres, mais une lecture contextualisée, féminine, humaine. Et ça, honnêtement, ça change tout.