« LES COMPLEXES ET LES NORMES AUTOUR DE L’ÂGE FRAGILISENT NOTRE SOCIETÉ », ALERTE FLORENCE PIN, RESPONSABLE DE L’OBSERVATOIRE « ÂGE & SOCIÉTÉ »

Florence Pin
©Laboratoires Expanscience

« Passé 50 ans, il faut se couper les cheveux et éviter les mini-jupes. » Ces petites phrases anodines en apparence traduisent une réalité plus pesante : les injonctions liées à l’âge façonnent non seulement l’image de soi, mais aussi les trajectoires personnelles et professionnelles. L’Observatoire « Âge & Société » des laboratoires Expanscience a quantifié cette pression et en a analysé les impacts. À travers une étude menée en 2024, Florence Pin, responsable de cette initiative, décrypte les résultats et les pistes pour changer les mentalités.

Comment et pourquoi les laboratoires Expanscience ont-ils créé cet observatoire du bien vieillir ?

Je suis en charge de l’activité bien vieillir chez Expanscience depuis deux ans et demi. À l’origine, l’activité était centrée sur la rhumatologie, mais j’ai estimé qu’il était urgent d’élargir cette approche. Il me semblait fondamental d’aborder le bien vieillir dans sa globalité, en tenant compte des attentes et des représentations de la société.

Cette réflexion s’inscrit dans la philosophie de ce laboratoire français fondé dans les années 50, connu pour son engagement sociétal. Certifié B Corp et entreprise à mission, nous avons toujours cherché à aller au-delà de la simple commercialisation de produits en nous interrogeant sur notre impact global, aussi bien sur la santé que sur la société.

C’est dans cette optique que nous avons créé cet Observatoire. Il s’agissait pour nous de comprendre comment la société française perçoit l’âge et de cerner les principales injonctions qui entourent le vieillissement. Nous avons mené une enquête en 2024 auprès de 2 000 personnes à partir de 18 ans. L’objectif était d’analyser la pression sociale exercée sur les individus en fonction de leur âge et d’identifier les leviers pour favoriser un vieillissement plus harmonieux.

Quels sont les principaux résultats de cette étude ?

Ce qui ressort avec force, c’est que les normes et complexes autour de l’âge fragilisent notre société. Plus de 76 % des personnes de plus de 45 ans déclarent avoir déjà été soumises à des injonctions en lien avec leur âge. Si l’on élargit aux 18 ans et plus, 69 % des Français disent avoir ressenti cette pression. C’est un chiffre frappant qui illustre à quel point le regard sur l’âge est imprégné d’attentes et de jugements.

Ces injonctions ont des effets bien réels. Elles génèrent de l’anxiété chez 70 % des personnes concernées. Passé 45 ans, plus d’une personne sur deux modifie son comportement à cause de ces injonctions, que ce soit dans sa manière de s’habiller, de se comporter ou même dans les choix qu’elle fait au quotidien. Un exemple frappant est la polémique autour de Sophie Davant à Danse avec les Stars, critiquée non pas sur sa prestation, mais sur ses choix vestimentaires jugés inappropriés pour son âge.

Les femmes sont-elles plus impactées que les hommes ?

L’étude met en lumière une pression inégalement répartie selon le genre. 66 % des femmes ont peur de vieillir, contre 54 % des hommes, et cette angoisse commence très tôt : 68 % des femmes de 18 à 35 ans en font déjà l’expérience ! A 35 ans, 41% des femmes ont peur de vieillir contre seulement 27% pour les hommes. Dès cet âge, la peur du premier cheveu blanc ou de la première ride s’installe, accentuée par les modèles véhiculés par les réseaux sociaux et les médias.

Ils vont accélérer les phénomènes sociétaux de représentation autour de l’âge très jeunes, les femmes sont conditionnées à considérer le vieillissement comme une menace. Chez les hommes, la préoccupation se déplace davantage sur la performance et la place dans la société, notamment à l’approche de la retraite.

Pour les femmes, la ménopause est souvent perçue comme un marqueur de fin de carrière ou une perte de valeur sociale. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a une forme de violence silencieuse : en vieillissant, une femme voit d’abord sa perception physique et sa désirabilité remises en question. Mais une fois qu’une femme est confrontée à la réalité de son âge vers 65 ans elle accepte parce qu’elle apprend à vivre différemment. Très jeune il y a un sujet autour du vieillissement qui continue tout au long de la vie et les femmes arrivent trop tardivement à se libérer de ces injonctions.

Ces pressions sur l’âge, souvent réduites à des questions d’apparence, n’ont-elles pas en réalité des conséquences économiques majeures ?

Aujourd’hui, les femmes assument en grande partie l’accueil et l’accompagnement du vieillissement de leurs propres parents. C’est un véritable enjeu, d’autant plus que la précarité touche particulièrement les femmes de plus de 60 ans. Ce problème est majeur et nous avons décidé d’y travailler en rencontrant la Fondation des Femmes, qui mène des actions essentielles pour faire évoluer la situation.

Ce que révèle l’Observatoire, au-delà des injonctions et des écarts entre hommes et femmes selon les tranches d’âge, c’est la nécessité d’aller plus en profondeur dans l’analyse de ces pressions. Il s’agit de mieux comprendre ces mécanismes pour définir des plans d’action concrets.

Comment les marques et les entreprises peuvent-elles mieux accompagner la transition des 45-65 ans et les valoriser ?

Si nous voulons accompagner ce moment de vie, nous devons être en capacité de générer des conversations en tant que marque, en apportant un point de vue, mais aussi des services concrets. Il s’agit d’aider à bien vivre cette transition, aussi bien dans sa tête que dans sa relation aux autres. Cela inclut évidemment le rapport au corps, mais aussi aux proches et, plus largement, au corps social, notamment en entreprise, qui constitue un véritable enjeu.

En tant qu’entreprise, il est aussi essentiel de réfléchir à la place des seniors dans l’emploi, et notamment dans nos propres structures. Il faut valoriser cette force vive essentielle, qu’il s’agisse des hommes ou des femmes, en leur offrant un cadre adapté. Cela passe par une meilleure reconnaissance des compétences, un niveau d’écoute adéquat et des dispositifs adaptés pour garantir une intégration efficace. Si l’entreprise veut pérenniser ses forces vives, elle devra être capable de répondre à ces enjeux.

Comment faire évoluer les mentalités et casser ces stéréotypes ?

Ce qui est essentiel, c’est de rappeler qu’il n’existe pas une seule manière de vieillir. Dans les injonctions liées à l’âge, ce point est fondamental : l’objectif n’est pas de créer de nouvelles normes préfabriquées. Il existe de multiples façons de vieillir, et elles sont toutes légitimes. Si une femme souhaite aborder son vieillissement avec quelques injections, c’est son choix, et cela ne doit pas être érigé en modèle unique. Ce qui compte, c’est d’accompagner le vieillissement comme une continuité de la vie. Car si, dès 18 ans, les jeunes filles redoutent déjà de vieillir, cela signifie qu’elles ont peur de vivre.

Faire du vieillissement un sujet partagé par tous serait la meilleure solution ?

Au-delà des représentations du vieillissement, la question est aussi intergénérationnelle. Il ne s’agit pas seulement des femmes de 60 ans ou de celles de 45 ans qui commencent à s’y intéresser, mais aussi d’impliquer les plus jeunes. Faire parler du vieillissement à ceux qui en ont peur est une façon de briser le tabou et d’accueillir ces craintes. C’est à travers ces conversations médiatiques et ces campagnes que nous souhaitons apporter notre contribution. L’observatoire que nous avonsmis en place est une première étape, mais il ne suffira pas à lui seul. Nous devons aller plus loin, ensemble. L’intelligence collective sera déterminante pour changer les mentalités et bâtir une société où l’âge ne sera plus une contrainte, mais une force.

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