DIPLOMATIE FÉMINISTE FRANÇAISE : UNE STRATÉGIE MENACÉE PAR DES COUPES BUDGÉTAIRES

diplomatie féministe
©j’ai piscine avec Simone

A la veille de la Journée internationale des droits des femmes, la France a officiellement dévoilé sa stratégie de diplomatie féministe. Une avancée attendue depuis 2019, qui marque une volonté affichée d’intégrer l’égalité femmes-hommes dans toutes les dimensions de sa politique étrangère. Mais derrière cette annonce, Coordination Sud, collectif d’ONG alerte sur un risque majeur : sans financements suffisants, cette stratégie pourrait rester un simple exercice de communication.

Depuis 2019, la France revendique une diplomatie féministe, une approche qui vise à intégrer les droits des femmes, des filles et des personnes LGBTQIA+ dans l’ensemble des politiques étrangères : aide au développement, commerce, climat, défense et sécurité. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, cet engagement restait flou, sans cadre stratégique défini. Ce n’est qu’avec la publication de cette nouvelle feuille de route que les priorités françaises sont réellement posées. Parmi elles, l’intégration du genre dans l’aide publique au développement (APD) constitue un enjeu central. En 2021, seuls 47 % des financements bilatéraux français prenaient en compte le genre, alors que la loi de programmation de 2021 fixait un objectif de 75 %. Pire encore, à peine 5 % des fonds étaient spécifiquement dédiés à des projets en faveur de l’égalité femmes-hommes, loin des 20 % promis.

Pour Coordination Sud, la plateforme qui regroupe plus de 180 ONG françaises de solidarité internationale, cette clarification était nécessaire après des années d’incertitude. « On n’avait pas vraiment de cadre stratégique ni de définition claire des priorités de la France sur cette politique étrangère féministe », explique Mélanie Pelascini, Chargée de mission Analyse & Plaidoyer de l’organisation. Mais l’annonce de cette stratégie intervient dans un contexte budgétaire préoccupant, qui pourrait compromettre son application concrète.

Des coupes budgétaires drastiques

En 2024, le gouvernement a annoncé une réduction de plus de 2 milliards d’euros de l’APD, ramenant son niveau à celui de 2018-2019. Une décision qui met en péril plusieurs mécanismes de financement, notamment le Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF), un levier essentiel pour appuyer les mouvements féministes internationaux. « Ce fonds, qui représente 50 millions d’euros par an, est en danger. On constate déjà des baisses de financement », alerte l’experte. Un recul qui contraste avec l’ampleur des financements accordés aux mouvements anti-droits, estimés à plusieurs milliards d’euros.

Cette diminution budgétaire impacte aussi les organisations féministes locales, qui peinent déjà à accéder aux financements internationaux. « Ces organisations sont les moins financées par les systèmes d’aide, car elles ne répondent pas toujours aux exigences administratives complexes des bailleurs de fonds, ou bien leur statut juridique est précaire dans leur propre pays », précise Mélanie Pelascini. Dans ce contexte, comment la France peut-elle tenir son engagement en faveur d’une diplomatie féministe ambitieuse ?

Un contexte international de plus en plus hostile

Le recul de l’APD française s’inscrit dans une tendance mondiale préoccupante. Aux États-Unis, l’administration a décidé de fermer totalement les financements de l’USAID, privant des centaines d’ONG et d’agences des Nations unies de ressources essentielles pour des projets liés à la santé, aux droits sexuels et reproductifs ou encore à l’éducation.

En Europe, plusieurs pays autrefois pionniers de la diplomatie féministe font marche arrière. La Suède a abandonné cette approche en 2021-2022, et les Pays-Bas, autrefois moteurs sur ces questions, revoient actuellement leurs engagements à la baisse. Même le Royaume-Uni, qui ne portait pas spécifiquement de diplomatie féministe, réoriente désormais ses budgets vers des priorités sécuritaires et militaires au détriment de l’aide publique au développement. L’Union européenne, quant à elle, refuse de compenser le déficit laissé par les États-Unis, ce qui fragilise davantage les financements pour l’égalité de genre. Face à cette situation, la France tente de maintenir son influence, notamment en formant des alliances au sein de l’UE. Mais sans moyens suffisants, son engagement pourrait rester purement symbolique.

Garantir un suivi rigoureux pour éviter un effet d’annonce

Pour éviter que cette stratégie ne soit qu’un affichage politique, il est impératif de mettre en place un cadre de redevabilité, c’est-à-dire un dispositif permettant d’évaluer concrètement les avancées, d’analyser l’impact des mesures prises et de garantir que les engagements ne restent pas lettre morte. Selon le collectif Coordination Sud, cette stratégie sera évaluée par le Haut Conseil à l’Égalité, avec une évaluation intermédiaire et une évaluation finale. L’organisation, qui est auditionnée dans ce processus, insiste sur l’importance d’un suivi transparent et indépendant.

En parallèle, le débat sur l’APD devient un enjeu politique majeur. Certains partis d’extrême droite, comme le Rassemblement National, multiplient les attaques contre ces financements en les qualifiant d’inutiles ou détournés. « Nous avons vu lors des débats sur le projet de loi de finances que ces sujets sont devenus des cibles privilégiées », souligne Mélanie Pelascini. Une campagne de désinformation est même menée par certaines figures politiques qui relayent des chiffres exagérés sur les montants accordés à des pays comme l’Algérie ou la Chine pour décrédibiliser l’aide au développement.

Ces attaques font peser un risque supplémentaire sur le maintien des financements dédiés à la diplomatie féministe.

À l’aube d’une conférence mondiale décisive

À quelques mois de la quatrième conférence mondiale sur les politiques étrangères féministes, qui se tiendra en France en juin 2025, le gouvernement est face à un choix décisif. Soit il rectifie la trajectoire budgétaire et crédibilise son engagement, soit il envoie un signal négatif aux autres pays. « Sans moyens financiers à la hauteur, la diplomatie féministe française risque d’être vidée de sa substance. Il est urgent de rectifier la trajectoire budgétaire pour assurer une politique étrangère véritablement féministe et efficace », conclut la chargée de pladoyer. Le message est clair : les discours ne suffisent plus, il est temps de passer aux actes.

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