Autrice de BD et illustratrice, Cati Baur, a publié en janvier « Marcie : le point de bascule », une BD qui met en scène une héroïne quinqua dont l’invisibilité devient un super pouvoir pour se transformer en détective et s’affirmer.
Elle vient d’avoir 50 ans et se fait virer du jour au lendemain par sa boîte. Un scénario hélas trop classique pour une femme. Mais Caro – prénom d’usage plus lisse que son vrai nom Marcie qu’elle n’assumait pas – ne se laisse pas abattre. Elle distribue des tracts, répond à sa fille ado qu’elle va faire ce qu’elle a toujours fait jusqu’ici : « se démerder ». Jusqu’au jour où elle se rend compte que l’invisibilité que lui oppose la société, elle peut en faire un atout pour réaliser son rêve : devenir détective privée. Elle pousse alors les portes d’une agence qui lui laisse sa chance. D’abord pour retrouver des chiens perdus, avant qu’elle ne se lance dans une plus grande enquête l’emmenant aux États-Unis.
Avec « Marcie : le point de bascule », l’autrice de BD et illustratrice montpelliéraine Cati Baur, 51 ans, a mis en scène une héroïne du quotidien hyper attachante, qui finit par comprendre qu’il ne faut plus se contenter de la place qu’on lui laisse, mais qu’elle s’invente celle qui lui convienne. Il y a de l’humour, du réel et de l’extraordinaire qui s’y glisse, des couleurs pastels et des couleurs vives pour décrire les symptômes de la périménopause, et on se régale. Entretien.
Dans votre dernière BD, « Pisse-Mémé », vous mettiez en scène des quarantenaires. Et dans « Marcie », l’héroïne a la cinquantaine comme vous. C’est incontournable pour vous d’avoir des héroïnes qui vous ressemblent et vieillissent en même temps que vous ?
Oui, je pars toujours de mon expérience, même si je ne fais pas d’autofiction. Le personnage de Marcie s’est imposé parce qu’il était en résonance avec ce que je vivais à ce moment-là, mais avec un petit camouflage. Plus je prends de l’âge, plus j’ai envie de faire des bandes dessinées et de la fiction inspirée de la vie. C’est important pour moi d’être nourrie par le réel. J’aime aller puiser au fond de moi des éléments qui ensuite vont me permettre d’essayer de mettre en avant des sentiments me paraissant assez universels. Je passe aussi beaucoup de temps à observer les gens autour de moi. Et il s’avère qu’en ce moment, mes amies ont plus facilement 50 ans que 40 ans, comme à l’époque où j’ai réalisé « Pisse-Mémé » (rires).
Et quels sont les « sentiments universels » d’une cinquantenaire que vous avez identifiés ?
Celui de devenir floue, de se fondre dans la masse. C’est amusant, on devient floue pour la société autour de nous, au moment où nous-mêmes on voit de moins en moins bien et où on doit compenser notre vue avec des lunettes. Moi-même, j’ai eu des lunettes il y a quelques années, je ne pouvais plus voir sans. Je me suis mise à en porter tout le temps – au quotidien, dans la rue – et je me suis rendue compte que je rentrais dans une forme d’uniformisation, celui de la « petite dame à lunettes ». Tout à coup, vers la cinquantaine, on devient la « petite dame » de quelqu’un.

D’où votre volonté ensuite de faire de ces « petites dames » des grandes héroïnes ?
C’est ça, et de faire en sorte que les caractéristiques des femmes de 50 ans deviennent leur force. Le super pouvoir de Marcie, c’est son invisibilité. J’ai eu envie qu’elle se réapproprie ce « défaut » pour en faire une force. À travers la BD, mon souhait, c’était de faire un cocktail des qualités ou des défauts qu’on présente comme féminin·es, telle que l’intuition, pour montrer qu’on pouvait s’en servir pour se réinventer. Et de raconter la transformation d’une femme qui ne se contente plus de la place que la société lui laisse.
La transformation de Marcie passe notamment par une reconversion contrainte et un peu… atypique. L’univers du travail vous paraît être l’un des éléments déclencheurs de la relégation subie par les femmes ?
Oui, totalement. Je voulais montrer le côté impitoyable de l’univers de l’entreprise, en mettant en scène une entreprise qui se veut « cool », où c’est le happiness manager qui se retrouve à devoir lui-même virer quelqu’un alors qu’il est censé apporter du bonheur. J’avais envie de montrer ces incohérences. De mettre en avant que le monde du travail est un vrai panier de crabe.
Et cette reconversion en détective privé, d’où vous est-elle venue ?
L’invisibilité des femmes devenait un atout pour ce métier. Surtout, je suis obsédée par l’univers du polar et des romans noirs depuis 40 ans. Quand j’étais petite déjà, je voulais écrire des romans policiers. Mais jusqu’ici, je ne m’étais finalement jamais plongé dans cet univers à travers mon travail. C’est lorsque je me suis retrouvée à un festival de polars, parce que j’avais illustré la couverture d’un album jeunesse, que je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’arrête d’attendre pour m’y mettre.
Votre BD ressemble pourtant moins à un polar qu’à une fresque sociale…
C’est vrai que lorsque je lis des romans policiers, je suis plus intéressée par le fonds de l’histoire et les coulisses, que par l’enquête proprement dite. Ce que j’aime, c’est de découvrir la personnalité des enquêteurs, des protagonistes, et à travers l’histoire de découvrir un pays, un univers ou une façon de penser différente de la mienne.
Marcie est une héroïne qui vit seule avec sa fille adolescente, avec laquelle elle partage complètement ses affres et découvertes. Qu’est-ce qui vous intéressait dans la mise en avant de ce duo mère-fille ?
C’est bizarre, mais je n’ai pas du tout imaginé un homme dans ce scénario. Ce n’était pas forcément réfléchi, mais en même temps, les hommes prennent tellement de place (rires). Tout bêtement avec un homme à la maison, Marcie n’aurait peut-être pas eu cette liberté d’aller faire ses enquêtes. Puis les adolescents me fascinent. J’ai beaucoup travaillé sur cet âge-là dans des précédents albums et je trouve cette période à la fois difficile et tellement magique. Et aujourd’hui, j’ai l’impression que les relations parents-ados se sont un peu adoucies, que les ados ne se construisent plus forcément en opposition à leurs parents… Mon fils l’autre jour me disait que ce n’était plus à la mode de détester ses parents (rires). J’avais envie de mettre en scène cette complicité qui peut s’installer.
Avec tout ça, on est d’accord qu’avec Marcie et vos précédents ouvrages, vous faites volontairement de la bande dessinée engagée et féministe ?
Bien sûr. Le féminisme a toujours été un moteur pour moi. Même quand le féminisme ne disait pas vraiment son nom à l’époque quand j’étais plus jeune. Ou lorsqu’il valait mieux le taire ou ajouter un « je suis féministe, mais… ». Aujourd’hui, je ne dis plus ce « mais ».
Et c’est quoi la suite, pour Marcie ?
Il y aura d’autres tomes ! En tout cas j’aimerais bien. En ce moment, le deuxième est à l’état de réflexion. Je réfléchis à la manière de faire évoluer Marcie. Maintenant qu’elle s’est trouvée, il ne faut pas qu’elle se contente de rester à sa place.
Intéressant ! Licenciée économique à 54 ans je porterai un regard particulier sur cette bd