LE MEDIA FEMINISTE PIONNIER QUI DOCUMENTE CE QUE L’AGE FAIT AUX FEMMES

Imaginée pour préserver l’intimité des femmes lors des examens gynécologiques, la blouse conçue par Lirjeta Maxhuni existe depuis plusieurs années. En 2025, la médiatisation d’un projet très similaire, présenté comme inédit, la contraint à défendre publiquement son travail.

Quand Lirjeta Maxhuni, 27 ans, découvre qu’un ingénieur médiatise une blouse gynécologique très similaire à celle qu’elle développe depuis plusieurs années, elle s’interroge. « En voyant surtout les grandes ressemblances qu’il y avait entre les deux projets, je me suis posé pas mal de questions », explique-t-elle. Très vite, les détails s’accumulent : des phrases quasi identiques, un prototype aux mêmes couleurs, une esthétique étonnamment proche. « Il y avait un mot modifié, mais sinon mes phrases étaient reprises telles quelles ». Le plus troublant, pour la jeune designer suisse, reste le récit porté par cet homme, celui d’un projet présenté comme totalement inédit en 2025. « Alors que le mien est public depuis 2022 », rappelle-t-elle. Son travail est documenté, accessible en ligne, et déjà largement relayé à l’époque. « Si on tape “blouse gynécologique”, on tombe assez facilement sur mon projet ».

La blouse gynécologique imaginée par Lirjeta Maxhuni est née dans le cadre de son projet de diplôme, à l’École cantonale d’art de Lausanne, où elle étudiait le design industriel. « À l’époque, j’étais encore étudiante, donc la communication est surtout passée par le site de mon école », précise-t-elle. Mais son projet baptisé Gynecare + ne s’est pas arrêté là. Il a été distingué, financé, republié. « J’ai gagné pas mal de concours, obtenu des financements de fondations ». Elle documente alors ses recherches sur les réseaux, comme un cahier de travail ouvert. « J’y mettais mes dessins techniques, mes réflexions, mes tests ». Une transparence qu’on lui conseillera plus tard de limiter.

L’invisibilisation de son travail

Lorsque la polémique éclate, Lirjeta Maxhuni tente de comprendre, puis de réagir. L’ingénieur mis en cause ne la contacte pas directement. Il répond seulement à certains commentaires publics, avec une stratégie déroutante. « Il dit que ce n’est pas du plagiat, que je suis une intelligence artificielle, que mon projet n’existe pas ». Elle documente ces échanges par captures d’écran. « Il explique que relayer mon travail, c’est relayer de fausses informations ». Une inversion des rôles qui sidère. « C’est quand même l’histoire à l’envers », résume-t-elle.

Présenté par plusieurs médias comme inédit, le projet porté par l’ingénieur suscite rapidement de vives réactions sur les réseaux sociaux. De nombreux internautes soulignent alors les similitudes avec le travail de Lirjeta Maxhuni.Sur les réseaux sociaux, la mobilisation est forte. « Des milliers de personnes ont tagué les médias pendant plusieurs jours ». Certaines pages rectifient, d’autres suppriment simplement leurs publications. « Mais beaucoup n’ont jamais répondu.».

Un travail exigeant

Contrairement au projet médiatisé, Lirjeta Maxhuni insiste sur la durée et la rigueur de son travail. « Je suis passée par une dizaine de prototypes ». La designer collabore depuis longtemps avec des gynécologues et des patientes. Aujourd’hui, le projet entre dans une phase décisive. « Je viens de recevoir une première production de 30 tenues pour une phase de test en cabinet ». Elle observe, en parallèle, le projet concurrent. « Je n’ai trouvé aucune recherche, aucun développement », affirme-t-elle. Sur le site, beaucoup d’éléments lui semblent générés par intelligence artificielle. « Il y a aussi des erreurs importantes, notamment des statistiques fausses sur la santé féminine ».

La blouse gynécologique conçue par Lirjeta Maxhuni est pensée pour être utilisée directement en consultation. « L’idée, c’est que ce soient les gynécologues qui achètent la blouse et la mettent à disposition ». Les patientes peuvent choisir de l’utiliser ou non, mais savent qu’elle existe. L’objectif est de préserver l’intimité, améliorer le vécu des examens, physiquement et psychologiquement. « Que les examens se passent différemment, et mieux ». Le dernier prototype est en coton 100 % bio, un choix fait après des essais. « Le coton est plus adapté en termes d’hygiène et de nettoyage ».

Produite en Suisse, la blouse a un coût. « Pour une petite production, on est à 55 francs par tenue ». Jusqu’ici, les concours et financements ont permis de soutenir la recherche et la première fabrication. « Après la phase de test, il faudra trouver des financements plus importants ». À 27 ans, Lirjeta Maxhuni poursuit son travail, malgré la violence symbolique de cette affaire. « Ce qui m’a fait le plus de peine, c’est de travailler pendant quatre ans dans mon coin, et de voir quelqu’un arriver sans recherche, sans développement, et être mis en avant ». Une histoire tristement familière. « C’est encore une fois la question de la visibilité des femmes, reprises par des hommes qui arrivent derrière », conclut-elle.

Sophie Dancourt

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