NOMADHER : LES VOYAGEUSES SOLO ONT DÉSORMAIS LEUR APPLI

Elisabeth Roman et Hyojeon Kim
Elisabeth Roman et Hyojeon Kim-NOMADHER

Elisabeth Roman, journaliste et fondatrice de Tchika et Tchikita, uniques magazines féministes traitant de l’égalité fille garçon, a choisi de s’envoler en solo pour la Corée du sud. Elle nous a proposé de partager ses tribulations, et avec enthousisame nous publions sa première rencontre locale. Une conversation avec Hyojeon Kim, la créatrice de l’appli NomadHer destinée aux voyageuses solitaires. De l’audace, du stress, de la liberté et des rencontres où l’âge s’efface.

Reese Witherspoon dans Wild. Voilà comment on imagine généralement la femme qui voyage solo : la vingtaine, sac à dos rempli à bloc, légèrement crado et un peu inconsciente des possibles dangers. C’est aussi ce que je pensais quand j’ai décidé, à 57 ans, d’entreprendre mon premier voyage loin et seule. Et pourtant les statistiques m’ont bien détrompée : selon un sondage du site Condor ferries de 2023, 81% des solo travellers auraient plus de 45 ans !

Qui sont-elles ? Pourquoi entreprennent-elles une telle aventure ? Pour ma première destination de voyageuse solitaire, j’avais choisi Séoul, en Corée du Sud. Ca tombait bien ! C’est là où se trouve Hyojeon Kim, 30 ans, qui a fondé NomadHer, une appli en anglais (mais bientôt en français) dédiée aux « solo female travellers » à la recherche d’informations, d’activités, ou même de compagnes durant une partie de leur voyage. Une occasion d’échanger sur ma primo expérience de voyageuse solo avec Hyojeon et d’en savoir plus grâce à son expertise.

E.R : Pourquoi les femmes ont peur de voyager en solo ? Moi, ma plus grande peur était de me retrouver seule, de ne parler à personne durant trois semaines.

HK : 90% des femmes ont envie de voyager seule mais 80% hésitent en raison de diverses raisons, dont leur sécurité. Moi, par exemple, lors de mon premier voyage seule, à 18 ans, j’ai entendu le fils de la famille qui m’hébergeait entrer dans ma chambre, pendant que je dormais, et il a commencé à se masturber ! Pourtant, même si la peur du danger est un frein important au voyage solo, quand j’ai interrogé les futures utilisatrices de mon appli, elles ne voulaient pas que j’y installe une touche d’alerte vers la police en cas de danger. Ce qui leur faisait vraiment peur, c’était d’entreprendre une aventure qu’elles n’avaient jamais tentée : être totalement seules ! Autres freins : le coût d’un voyage solo plus important qu’en duo et les inquiétudes des familles et des amis !

E.R : Je te rejoins là-dessus ! Quand j’ai expliqué à ma mère de 95 ans que j’avais pris un billet pour la Corée du Sud, elle était paniquée. Mais, elle a réussi à calmer ses angoisses quand je lui ai expliqué que c’était pour moi un besoin vital. Il y a quelque chose qui m’a vraiment étonnée quand j’ai creusé le sujet des voyageurs solo, j’ai appris que les femmes voyageaient plus seules que les hommes ! Le Guide du routard devrait changer l’illustration de ses couvertures !

HK : C’est vrai. 80% des personnes qui voyagent en solo sont des femmes ! Les femmes sont plus autonomes et les hommes sont plus dépendants. Les femmes sont plus audacieuses. De toute façon, même quand elles voyagent en famille, ce sont déjà elles qui organisent déjà tout !

E.R : Encore plus étonnant, 81% des femmes qui voyagent seules ont plus de 45 ans.

HK : D’après les analyses que j’ai faites après avoir interrogé les utilisatrices de NomadHer, il existe globalement trois types de voyageuses : les backpackeuses, des routardes sac à dos, qui ont la vingtaine et qui vont dormir en dortoir dans des auberges de jeunesse pour 10 euros la nuit ; ensuite, les trentenaires, comme moi, qui sont célibataires et commencent à bien gagner leur vie et qui voyagent pour leur loisir ; et pour finir, les femmes de plus de 45 ans qui ont généralement plus d’argent et plus de temps, car leurs enfants sont devenus autonomes.

Pour l’industrie du voyage et du tourisme, ces femmes plus âgées vont, dans les années à venir, représenter une clientèle prédominante et une grande source financière. Je le vois sur mon appli, celles qui utilisent la partie gratuite de recherche de compagnes de voyage sont les plus jeunes. Et les femmes plus matures sont celles qui achètent les activités que je propose. Mais, il ne faut pas ultra généraliser. Il y a aussi des femmes de plus de 45 ans qui partent en sac à dos et dorment dans des auberges de jeunesse !

E.R : Quand je regarde ton appli, j’ai l’impression pourtant que les femmes de plus de 45 ans sont peu nombreuses.

HK : Oui, elles ne représentent pour l’instant que 30% de mes utilisatrices. Mais c’est parce que les femmes de plus de 45 ans pensent qu’elles ne sont pas beaucoup à voyager solo ! Alors, elles hésitent à s’inscrire sur NomadHer parce qu’elles pensent qu’elles n’y trouveront pas des femmes de leur âge.

E.R : Avant de partir pour ces trois semaines solo en Corée, je me suis inscrite sur NomadHer, mais je n’ai pas osé passer d’annonce pour rechercher des compagnes de voyage, car je me suis imaginé que les plus jeunes n’auraient pas envie de passer du temps avec une femme qui pourrait être leur mère. C’est une totale croyance limitante.

Mais quand je suis allée en incursion sur la zone démilitarisée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, je me suis retrouvée, dans le bus, à côté de Fabiana, une italienne de 31 ans, voyageuse backpackeuse et on s’est entendu comme larronnes en foire au point de diner ensemble le lendemain soir à Séoul et de se promettre de se revoir à Paris. En fait, nos âges n’avaient plus aucune importance. Ce qui nous reliait, c’était cette puissance de voyageuses solitaires. D’ailleurs, qu’est ce qu’elles recherchent ces femmes qui veulent partir seules ? Moi par exemple, j’ai quitté mon compagnon il y a 8 mois et je cherchais à combler le vide qui découlait de son absence en me confrontant à mes peurs. J’ai toujours adoré voyager, mais je ne l’avais jamais fait seule.

HK : De 18 à 25 ans, c’est plutôt la recherche d’aventures. A partir de 40 ans, les femmes qui partent seules sont le plus souvent des femmes à un moment de rupture et d’énorme changement dans leur vie : rupture amoureuse, sortie de burn-out, changement d’entreprise, changement radical de métier… Elles envisagent le voyage comme un remède, mais aussi un moment d’introspection loin du quotidien. Il ya un avant et un après le voyage solo. On en revient plus puissante et plus déterminée car on a réussi à être heureuse seule.

E.R : Cela ne fait qu’une semaine que je suis en Corée, il me reste encore deux semaines de voyage. Mais je sens déjà cette puissance grandir en moi. Durant des années, j’ai organisé des voyages pour ma famille. Je ne pensais qu’à leurs envies et je mettais les miennes de côté. Je ne regrette rien bien sûr du plaisir que je leur ai procuré. Mais je m’oubliais totalement. Là, enfin, je m’occupe de moi et de mes envies et je me sens totalement libre.

HK : Moi qui suis une voyage solo depuis très longtemps avec plus de 60 pays visités, je souffle durant de tels voyages. A Cuba, au Mexique, au Laos… les gens que je rencontre ne me jugent pas sur mon métier et les études que j’ai faites. Ce sont des rencontres d’humain à humain. J’adore ressentir pouvoir être ce que je suis.

E.R : Une autre statistique issue du sondage de Condor ferries : le pourcentage des femmes solos qui a le plus explosé, au niveau de la tranche d’âge, ce sont les femmes de plus de 65 ans. En 2019, elles ne représentaient que 4% des voyageuses solo et en 2022, elles étaient 18% ! Est-ce que la Covid a eu selon toi une influence ? Est-ce que la peur de mourir leur a donné une envie folle de profiter de la vie ?

HK : Absolument d’accord ! Ma mère est allée seule à New Delhi deux fois en solo l’an dernier. Et là, elle prépare un voyage au Mexique !

E.R : Deux jours avant de partir pour la Corée, j’ai eu une boule au ventre ! Alors pour me rassurer, j’ai donné accès à la localisation de mon téléphone, 24 sur 24, à ma belle-fille policière et j’ai créé un groupe WhatsApp « Lisa en Corée » qui regroupe une cinquantaine d’amies et d’amis. Ca me rassure de leur raconter mes aventures au quotidien. Quels conseils donnerais-tu à ces femmes qui veulent partir mais qui ont peur ?

HK : Bien sûr, s’inscrire sur mon appli pour trouver avant de partir des compagnes de voyage ou des activités à faire en groupe. On peut aussi commencer par un voyage pas trop loin de chez soi, en Europe. Et puis certains pays dans le monde comme le Japon, la Corée du Sud ou Singapour sont plus safe que les autres. Mais je dirais surtout qu’il faut oser avoir peur ! On pense qu’avoir peur est un sentiment négatif. Quand on a peur, c’est qu’on sort de sa zone de confort.

Avoir peur, ça nourrit, ça fait grandir, ça fait évoluer. Si on n’a pas peur, ce n’est pas une aventure. Et puis, toi en tant que Française, tu peux aller où tu veux dans le monde. Je reçois beaucoup de messages de femmes de certains pays africains ou du Moyen Orient qui m’expliquent que voir sur les réseaux sociaux de NomadHer les aventures des voyageuses solos les font rêver. Elles ont tellement envie de faire pareil mais pour elles, c’est impossible, car elles vivent dans des pays où les femmes doivent avoir l’autorisation de leur mari ou leur père pour se déplacer ou alors, elles sont très pauvres… On oublie qu’on a la chance que d’autres femmes n’ont pas. Il faut aussi dépasser nos peurs pour ces femmes-là !

A noter dans vos agendas de futures voyages solo : NomadHer organise un festival le 19 octobre à Pais, lieu encore à déterminer.

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