ET SI SHAKESPEARE ÉTAIT UNE FEMME ? UNE HYPOTHÈSE DÉVELOPPÉE DANS UN LIVRE ENQUÊTE PASSIONNANT

Shakespeare-Aurore-Evain
©J’ai piscine avec Simone

Metteuse en scène, autrice et chercheuse, Aurore Evain n’a de cesse d’exhumer les oeuvres des autrices de théâtre. Une expertise qu’elle met aujourd’hui au service d’une enquête passionnante sur l’identité du dramaturge William Shekespeare. Serait-ce une autrice ? Des pistes concordantes qu’elle nous livre.

Quelle est l’origine de cette enquête ?

La chercheuse américaine, Robin Patricia Williams est à l’origine de cette enquête. Je travaillais sur les autrices de théâtre en France, du 17e et 18e siècle, sur tout ce matrimonial théâtrale et je butais toujours sur la même chose : on me disait « oui elles ont existé et c’est pas mal ce qu’elles font, mais les grands génies ce sont les grands hommes ». Et surtout Shakespeare. On me renvoyait souvent à Virginie à Wolf qui disait dans Un lieu à soi que si Shakespeare avait une sœur, avec autant de talents et de compétences que lui, elle n’aurait jamais pu créer une œuvre pareille parce que les conditions ne le permettaient pas.

Un sujet au coeur de votre expertise !

En travaillant sur les autrices de théâtre, il y avait toujours cette histoire du grand génie qui se décline au masculin. Alors quand j’ai vu passer au début des années 2010 un article sur Internet qui développait l’idée de cette chercheuse américaine que Shakespeare pourrait être une femme, je me suis dit que ce serait incroyable ! Et puis il y a eu les 400 ans de la naissance de Shakespeare en 2016, et j’ai vu un reportage sur ARTE qui démontait complètement l’auctorialité de Shakespeare dont on ne sait pas grand chose.

Que sait-on de lui ?

Shakespeare était un homme d’affaires, actionnaire du théatre du Globe. C’était un acteur sans doute de second rôle, également propriétaire foncier.

De quelle manière votre livre a pris forme ?

Je me suis plongée dans celui de Robin Patricia Williams et je l’ai traduit en entier durant le confinement. Entre temps, j’en avais parlé à Carole Thibault, directrice du CDN de Montluçon qui m’a proposé d’en faire une conférence spectacle que l’on a joué pour les premières journées du Matrimoine à Montreuil en 2021. Et les éditions Talents Hauts m’ont proposé d’écrire un essai grand public.

Comment avez-vous enquêté car on sait très peu de choses de Shakespeare ?

Mon livre est une adaptation libre de l’enquête de Robin Patricia Williams publiée sous le titre de Sweet Swan of Avon: Did a Woman Write Shakespeare?. Ce sont toujours les mêmes arguments qui tournent et qui n’arrivent pas à faire tomber le piédestal de cet homme qui est bati pourtant sur rien. Elle s’est inspirée d’un chercheur Gilbert Slater qui déjà dans les années 30 avait parlé d’une écriture collaborative, Il citait dans ce cercle de personnes Mary SIdney, comtesse de Pembroke.

Qui était-elle ?

Elle possédait plus de 5000 ouvrages dans sa bibliothèque. C’est l’une des femmes les plus érudites de son temps. Les femmes de la haute aristocratie de l’époque étaient extrêmement bien éduquées, nous avons une image qui date du 19e siècle comme quoi elles ne pouvaient rien faire, mais ce n’est pas vrai. Elles sont là pour diriger, pour faire de la politique, ce sont des ambassadrices, elles correspondent avec des grands personnages dans l’Europe entière. Et Mary SIdney avait de plus de très grandes compétences intellectuelles. Polyglotte, elle a fait de l’alchimie, elle écrivait, elle a traduit des textes. Elle avait un socle de connaissances qu’on trouve dans l’œuvre shakespearienne.

Elle peut tout faire mais elle ne peut pas publier sous son nom ?

Il y a des carcans. Un homme de l’aristocratie peut difficilement publier, on n’est pas encore dans la culture de l’imprimé que Mary Sidney va lancer. Une œuvre comme celle de Shakespeare, un grand aristocrate ne peut pas la signer. Même si c’est un homme. Mary Sidney va faire des traductions, mais signer de son nom c’est impossible car une femme qui publie c’est une femme publique. Elle prostitue son nom, son clan, la réputation de sa famille.

On peut trouver dans l’œuvre attribuée à Shakespeare des éléments qui valorisent les femmes, est-ce autant d’indices qui pourraient indiquer que l’auteur est une femme ?

J’ai poursuivi l’enquête sur cette thématique. La méconnaissance de l’histoire des femmes et que effectivement cela remplit les cases. Ça remplit presque le test de Bechdel-Wallace : on a des liens de solidarité entre femmes, de sororité qu’on a rarement dans les pièces d’hommes de l’époque, une mise en scène aussi de ce pouvoir tyrannique des hommes, de ce besoin d’absolutisme qui est également dénoncé, je le retrouve chez les autrices de théâtre classique en France. Cela fait écho avec les corpus que je connais bien, et Shakespeare fait partie des œuvres de l’époque dans lesquels il y a le plus de travestissement de femmes, des femmes qui se travestissent pour pouvoir faire des choses que la société leur interdit.

Est ce que la manière dont les pièces de théâtre étaient écrites à l’époque a favorisé l’effacement de Mary Sidney en tant qu’autrice ?

Dans les années 1580, 80 % des pièces de théâtre sont anonymes, tout le monde écrit. C’est un nouvel Hollywood qui sort de terre, Il y a 3000 pièces qui vont être publié et derrière les anonymes il y a peut-être beaucoup de femmes. Concernant l’oeuvre de Shakespeare, beaucoup pensent que ça peut être une écriture collaborative à cause de la profondeur et de la complexité de l’œuvre. On trouve toujours un peu les mêmes scénarios, les mêmes thèmes et le portrait robot de cette tête pensante correspond bien à la personnalité de Mary Sidney et au fait qu’elle a tenu le plus grand cercle littéraire de l’époque.

C’est aussi un commerce, il y a des courtiers en pièce de théâtre, et notamment des acteurs, des actionnaires de théâtre, des hommes d’affaires qui font du théâtre vivant et ont intérêt à se faire de l’argent en mettant leur nom sur les pièces encore plus si la véritable autrice ou le véritable auteur n’a surtout pas envie qu’on sache que c’était elle ou lui. C’était la pratique des allonymes : le nom utilisé par un auteur qui est le nom d’un autre.

Poser la question de l’identité de Shakespeare reste un tabou ?

C’est difficile de le faire sans être taxé de conspirationisme, sans se faire insulter et encore plus en Angleterre. Il y a des témoignages qui doutent que ce soit ce Shakespeare là qui ait publié les pièces qui existent sous son nom. On assiste à l’écriture de l’histoire autour de ces grands hommes qui vont remplacer la religion, le catéchisme. C’est une sorte de religion laïque autour du Panthéon littéraire et des grands hommes. Et ce récit se constitue beaucoup autour du 18e siècle, les études littéraires anglaises vont se mettre en place au 19e et c’est une façon de réunir l’État-nation autour de ces nouvelles grandes figures d’idolâtrie.

Shakespeare serait la construction d’un mythe ?

Ses pièces racontent toutes l’histoire de l’aristocratie anglaise et en même temps c’est aussi la méritocratie avec soi-disant quelqu’un du peuple qui arrive à devenir le plus grand génie de la nation malgré une société inégalitaire. Il permet de réunir tout le monde en Angleterre, les protestants et les catholiques en dehors des guerres de religion. Ce mythe à une valeur unificatrice.

Quelles ont été les réactions à cette théorie ?

En Angleterre ça pu être très violent. Elizabeth Winckler, journaliste vient de sortir un livre pas encore traduit en France qui aborde cette question. Son livre s’appelle Shakespeare was a Women and other heresise. Elle a eu le malheur en 2019 d’écrire un article racontant qu’elle venait de lire un livre qui attribuait les œuvres de Shakespeare à une autre femme qui s’appelle Emilia Bassano et elle a reçu un tombereau d’injures, on l’a traitée de négationniste.

Mary Sidney alias Shakespeare, Aurore Evain, Editions Talents Hauts 2024












































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